Décoder ce que disent les jeunes

Chaque génération amène avec elle de nouveaux mots ou de nouvelles significations. Pour construire ce langage, les jeunes ont recours à différents procédés. Explications.

Décoder ce que disent les jeunes

« Wallah j’ai le seum ! J’ai des bails à te raconter. Viens, on se capte ! » Si la plupart des mots de cette phrase peuvent sembler inconnus à certains, les plus jeunes sauront sans problème la déchiffrer. Selon le professeur des sciences de l’information et de la communication Bernard Lamizet, dans la revue les Cahiers de sociolinguistique, « le vocabulaire des “jeunes” se caractérise par […] une intense créativité lexicale ». Chaque génération amène avec elle de nouveaux mots ou de nouvelles significations. Pour construire ce langage, les jeunes ont recours à différents procédés.

Le plus connu, le verlan, s’est installé dans la langue française à partir de 1968 selon le Trésor de la langue française informatisé. Il renvoie à l’expression « à l’envers  », en sens inverse. Le procédé ne consiste pas seulement à inverser les syllabes d’un mot ; les sons ou encore certaines lettres muettes deviennent audibles. Le mot « bête » devient alors « teubé » en verlan avec le «  e  » muet final qui se transforme en « eu  ». Le catalogue de mots «  verlanisés » s’enrichit souvent avec de nouvelles créations selon les générations et les tendances. En 1978, Renaud popularisera cette forme d’argot avec sa chanson Laisse béton ; connu par le plus grand nombre, son célèbre titre ne sera pas pour autant systématiquement compris.

De nombreux procédés lexicaux

D’autres moyens permettent de créer de nouveaux mots. L’utilisation de suffixes peut donner différents messages. Avec la terminaison ard, avoir de la veine amène le mot veinard (qui a de la chance) par exemple. Les jeunes modifient également le sens de mots déjà présents dans la langue française afin de les employer dans un contexte proche de la signification originale. Le verbe «  capter », qui consiste à établir une communication, devient alors « se capter » et s’applique quand deux personnes veulent se rejoindre ou rester en contact.

Par ailleurs, des modifications comme la troncation (ou apocope), l’aphérèse et la réduplication s’utilisent majoritairement à l’oral mais tentent de s’étendre à l’écrit avec les jeunes. Il est possible de retrouver des mots comme « biz » pour business, « blème  » pour problème et « zonzon » pour prison. Employer des initiales est monnaie courante avec les acronymes comme SNCF ou encore ONG, mais elles prennent de l’importance individuellement lorsque les jeunes les utilisent.

Une des abréviations les plus connues correspond aux messages envoyés par un téléphone portable : le SMS qui signifie Système de messages courts ou « Short messages system » en anglais. La lettre « S » prend une grande place actuellement. Popularisée par le rappeur et chanteur Jul, l’expression « le sang de la veine  » identifie quelqu’un de proche comme faisant presque partie du sang de l’interlocuteur. La désignation s’est diversifiée en devenant «  c’est le S » ou juste « le S » et possède toujours la même définition.

De nouveaux mots s’inspirent également des langues étrangères. L’anglais ou encore l’arabe, par exemple, ont fait apparaitre de multiples mots, à l’instar de « love », « chill », « lol », « hess » ou encore « moula ». L’encadré ci-contre recensera une partie des plus utilisés.

Bien que les jeunes emploient ces termes dans leur langage courant, chaque groupe possède son propre langage. La situation géographique tient un rôle important dans le lexique utilisé. A l’image du mot « très » qui diffère en fonction des régions : à Marseille, par exemple, on dira « tarpin » comme dans la phrase « c’est tarpin bon » (c’est très bon) ; les Stéphanois, quant à eux, utiliseront « c’est franc bon » pour exprimer la même idée. Les nouveaux mots peuvent être propres à un territoire et peuvent provenir de langues régionales. Le terme «  fraté  » employé par de nombreux jeunes découle du mot fratellu qui signifie frère en corse. Si le langage jeune peut fluctuer selon le lieu en France, il diffère également selon les années.

Un “parler jeune” pour s’identifier

Certains adultes considèrent que les adolescents parlent mal et appauvrissent la langue. La création de ce nouveau vocabulaire permet d’enrichir cette dernière. Les adultes ont sans doute aussi contribué à l’ajout de nouveaux mots au dictionnaire français dans leur jeunesse. Dans les années 1980, « meuf », « tchatcher  », « teuf » ou encore « hacker » apparaissaient dans les conversations et intégraient le dictionnaire quelques temps après. Chaque génération a utilisé ses propres mots qui, avec le temps, ont disparu ou sont entrés dans le langage courant.

Ce langage bien à eux permet aux jeunes de s’identifier entre eux et de se comprendre. Bernard Lamizet explique : « Il s’agit d’établir […] une “langue”, qui leur soit propre, et qui se distingue, par conséquent, de la langue instituée comme système symbolique dominant d’information et de communication. » Ils s’écartent ainsi des adultes qui utilisent un lexique courant et usé de tous. Des films, des séries ou encore la musique empruntent un langage similaire à celui des jeunes. En guise d’exemple, les musiques d’Aya Nakamura reprennent un langage déjà présent chez les jeunes, raison qui a fait son succès.

Pour autant, ils ne s’adressent pas à leurs ainés avec ce dernier. Que ce soit avec leurs amis, leurs parents ou même leur médecin, ils ne s’expriment pas de la même manière. Ils peuvent être comparés à des caméléons du langage. Cette manière de parler se pratique également par les adultes qui changent de répertoire lexical pour discuter avec un inconnu, un ami ou même un patron.

Pour répertorier tous les mots inventés ou empruntés par les jeunes, le Dictionnaire de la zone ou le Wiktionnaire recensent les différents termes et expressions, qui sont perpétuellement mis à jour. Pour comprendre à quoi correspondent les différents termes du langage des jeunes, il suffit de leur demander et de comparer avec les mots qui voulaient dire la même chose lors de votre adolescence.

Arthur Bonglet